Amasya
Je n'ai aucune envie de rester à Samsun, alors le lendemain je décide de partir à Amasya, à environ 130 km au Sud de Samsun, et que mon guide qualifie « d'une des plus belles cités anatoliennes ». (Mais je me méfie de ce guide, Guide Bleu Hachette, apparemment fait par un fou d'histoire et d'archéologie, pour qui cela vaut la peine de faire 400km de route pour trouver un monastère hittite en ruine). Je pars tôt le matin.
Il fait un grand soleil, et pourtant, surprise : tout est gelé ! Le chauffeur roule comme un fou, j'ai peur qu'on glisse sur une plaque de verglas ! En m'approchant d'Amasya, je suis à la frontière de l'Anatolie Centrale, et cela se ressent dans les paysages, arides, de long plateaux marrons qui s'étendent sans fin, de petites maison de pierres pauvres toutes repliées sur elles-mêmes... De plus en plus de paysans montent dans le bus, à la peau tannée, avec des mono-sourcils et de petites tailles : ils ne déposent pas de bagages dans la soute mais d'énormes sacs blancs de pomme de terre. A un moment, au loin, apparaissent trois énormes montagnes enneigées, ou plutôt trois énormes blocs de glace bleue glacée qui contrastent avec les plateaux ocres. C'est complètement surnaturel, pendant plusieurs minutes je m'assure que ce ne sont pas des nuages, mais non, ce sont bien des montagnes et je me sens comme chez moi !
Finalement on arrive à Amasya, la ville est encaissée entre des montagnes et un python rocheux. Une forte odeur de soufre me prend dès que je descends du bus, je me rends compte que c'est parce que tous les gens ont allumé leurs poêles et leurs cheminées, (vu de haut, il y a tellement de fumée qu'on dirait que la ville brûle !) et cette odeur n'est en fait que celle du charbon, que les gens utilisent abondamment ici (A Samsun on trouve encore des immeubles chauffés au charbon !).L'atmosphère change beaucoup d'Istanbul, ici, presque toutes les femmes sont voilées, les hommes en costume, certains portent de petits chapeaux musulmans, et la de nombreux hommes égrènent un chapelet en marchant.
En mentant sur le fait que je parle bien turque, je suis invitée dans un petit musée qui recrée l'aspect d'une ancienne maison ottomane, puis je m'échappe dans le vieux Amasya, fait de petites maisons en encorbellement qui longent la rivière. Mon guide prévoit une journée pour tout voir, en fait, je comprends qu'en quelques heures j'en aurai fini, alors je flâne et je prends mon temps (cela change tellement d'Istanbul !). Vers midi, je m'assois près de la rivière Yeʂilırmak, qui traverse Amasya, et là un petit vieux vient me parler, il dit que l'appel du muezzin l'insupporte, et m'invite chez lui pour manger les restes d'agneaux de Bayram ! Il est adorable, même s'il est très pauvre et en mauvais état, il me fait asseoir chez lui, me prépare du thé noir, m'offre une cigarette, puis il me sort un sac de pain humide fourré d'épices et de noix pillées, confectionné spécialement pour Bayram, et des baklavas aux noix faites maison. Dans sa maison il n'y a qu'un poêle, un lit, et un vieux buffet de bois avec des assiettes ouvragées de fleurs, et une petite table. Pendant ce temps, il fait réchauffer une énorme assiette de morceaux d'agneaux frits dans leur graisse. Il m'oblige à tout manger puis à saucer. Il est trop content ! Il me fait de la peine, il me dit que même si ses enfants habitent ici, il ne les voit jamais, qu'ils lui ont juste apporté de quoi manger pour Bayram, que la seule personne qu'il voit tous les jours est son docteur. Ah ! Je suis trop énervée, comment des enfants peuvent-ils être aussi cruels !? Après m'être régalée, je dois partir car il doit faire sa sieste. Je suis extrêmement touchée, moi qui craignais de ne pas pouvoir goûter à Bayram ! Je ne sais comment le remercier, alors je l'embrasse à la manière dont on s'embrasse en Turquie, quand on ne s'est pas vu depuis longtemps, on pour marquer son respect aux anciens, il faut tout d'abord baiser la main de l'autre comme un baise-main, puis ensuite l'appuyer sur son front en baissant la tête !
Je continue ma promenade, visite les tombeaux, qui valent surtout pour le point de vue exceptionnel qu'ils offrent sur la ville. C'est trop drôle, il faut un peut monter pour y accéder, et les femmes turques en longues robes galèrent un peu, et poussent de petits cris quand il faut sauter deux rochers, heureusement, à ce moment là, l'homme turque trouve une bonne occasionde prouver sa force en soulevant comme si de rien était, sa femme et en lui faisant franchir un ravin de 30cm. Moi qui étais toute seule, je suis passée pour une sur-femme hahaha ! Je me rends ensuite au bazar de la ville, à une vieille mosquée seldjoukide, où je croise un homme qui me parle de voiture. Je crois comprendre qu'il me demande si je suis venue en voiture ou en bus, je réponds en bus, que je n'ai pas de voiture, puis comme il insiste pour me parler, je finis par dire - « Je ne sais pas, je ne sais pas ! », et il finit par s'éloigner. Ce n'est qu'après que j'ai compris qu'il me proposait sa voiture pour visiter la citadelle de la ville, à laquelle on a pas accès à pied ! Aaaah, je maudis mon niveau de turque tout pourri ! Il n'y a aucun touriste occidental, seulement une poignée de touristes turques dans la rue, et je vois passer des camions ensanglantés pleins de carcasses de brebis couverte de mouches, mais cela ne me choque pas plus que ça, cela semble dans son élément ici. Je finis de me balader, la nuit tombe, cela pue la carcasse de mouton brûlée, je décide de rejoindre la gare routière à pied. Il fait hyper froid, et, tandis que je marche le long de la route, un homme s'arrête et me propose de me conduire jusqu'à la gare. Là, le responsable de ma compagnie prend soin de moi, et ne me laisse tranquille qu'une fois qu'il m'a installé dans le bon bus. La gentillesse et le sens de l'hospitalité des turques de se démentent pas ! Vive les vacances !
Et comme toujours, la petite anecdote littéraire de la fin, en revenant à Samsun, Can, le coloc' de Florence, m'a parlé d'une légende qui aurait pour cadre la ville d'Amasya, et qui raconte comme cette rivière centrale d'Amasya est apparue (il en existe plusieurs variantes car cette histoire est partagée par la Perse et les Balkans) :
" (...) l'aqueduc le long de la route à l'entrée d'Amasya, (...). Les Turcs d'Amasya ont une légende sur son origine (...). L'histoire raconte que vivait dans ce quartier un jeune homme riche et puissant du nom de Ferhat, qui était amoureux d'une belle princesse d'Amasya, Shirin, soeur de la sultane. Il lui proposa le mariage, mais la soeur de Shirin ne voulut y consentir qu'à condition que ce dernier fournisse à Amasya de l'eau à partir d'une vallée lointaine, et effectue tous les travaux lui-même. Sans se laisser abattre par l'ampleur de la tâche, il se mit immédiatement au travail, et, à en juger par le résultat, dut travailler dur pendant de longues années. Enfin, un jour, il rencontra une vieille femme qui, avec une curiosité toute turque, lui demanda ce qu'il faisait ; Ferhat lui raconta l'histoire de son amour, et qu'il espérait avoir bientôt achevé sa tâche; sur quoi elle répondit qu'il devrait arrêter de travailler inutilement, puisque la jeune fille, qui devait à cette époque avoir passé son soixante-dixième anniversaire, était morte. En entendant cela, de rage, il se frappa la tête avec son marteau jusqu'à en mourir. Bien-sûr, ce colportage était un mensonge. Shirin se rendit aussitôt qu'elle apprit la nouvelle à Amasya, et, ayant aperçu le corps de son bien-aimé, se jeta du haut de la montagne. Les deux amants furent enterrés sur le sommet de cette montagne. Chaque année poussait sur la tombe de Ferhat une rose rouge et sur celle de Shirin une rose blanche, et entre les deux tombes un bouquet d'aubépinier." D'après W.J Hamilton, 1842
*Pour plus de photos, j'ai également publié un album de cette journée à Amasya sur le blog.
Jeunes turques tout intimidés par la présence d'une française et qui m'ont demandé de les prendre en photo ! Ils ont été encore plus surpris lorsque je leur ait demandé si la mosquée était ouverte hahaha