Chats d'Istanbul
(Chats de l'immeuble abandonné d'en face)
"C'est l'esprit familier du lieu ; *türkçe chat = kedi
Il juge, il préside, il inspire
Toutes choses dans son empire ;
Peut-être est-il fée, est-il dieu ?"
Baudelaire
S'il y a une chose qui ne me manque pas, à Istanbul, ce sont bien les chats, qui sont de partout ! La ville est véritablement envahie par les chats ! S'il y a bien comme on le dit, 15 millions d'habitants ici, je n'ose alors imaginer le nombre de chats ! On les trouve de partout, par exemple, ceux de l'immeuble inhabités d'en face, prennent un malin plaisir à s'étaler sur le capot chaud des voitures, le matin, on dirait de drôles de sculptures mobiles quand on arrive et qu'on les voit de loin...
D'autres fois, ils grouillent dans les poubelles. D'ailleurs, Marion et Joséphine, mes anciennes colocataires, avaient logé 10 jours, non, rassurez-vous, pas dans des poubelles, mais dans une auberge de jeunesse baptisée... "Straight Cat", c'est à dire "Chat de gouttière" !!!!
Les chats d'Istanbul s'insinuent jusque dans ma fac', il y en a un qui pue et qui traîne toujours dans la BU, qui dort sur les fauteils de la salle informatique, et cherche désespérement à se faire câliner. Il y en a de nombreux autres qui rentrent dans les salles de classe, et parfois on en voit même qui s'allongent de tout leur long sur les chauffages ! Il faut dire que les chats de Galatasaray sont des privilégiés : Sevgi, la secrétaire des Relations internationales les adore, son bureau est un royaume dédié au monde félin : affiches, cartes postales, photos, figurines, sculptures, claviers de souris, on trouve des chats vus sous tous les angles !!! C'est drôle d'ailleurs parce que Sevgi elle-même ressemble à un chat. Quand je lui ai demandé pourquoi cette passion, elle m'a répondu : -"Les hommes sont si vulgaires, si méchants, alors que les chats sont nobles et pures comme des bébés". J'ai trouvé cela mignon.
Les stambouliotes entretiennent un rapport ambigüe avec leurs chats. Il y a ceux qui en ont profondèment pitié, et qui leur laisse de la nourriture. Dans de nombreuses rues, on trouve, au pied des immeubles, des seaux d'eau qui leurs sont destinés, avec des poignées de croquettes. D'ailleurs, une fois, au Bazar, à côté des sacs de cumins, de curry et d'autres épices, j'ai aussi paerçue... des sac remplis de croquettes hahaha ! Le poissonier de mon quartier s'amuse souvent à faire une canne à pêche avec un bâton au bout de laquelle il attache une carcasse de poisson qu'il agite pendant des heures devant le nez du petit chat gris attitré de sa poissonerie... J'ai même visité l'appartement d'un turque qui avait recueilli un chat dont il avait eu pitié... bien qu'il soit allergique !
Et puis il y a l'extrême inverse, c'est à dire, des gens qui ont une véritable peur des chats !!! Je n'avais jamais vu ça avant. Dans ma salle de classe, j'ai déjà été obligé de sortir deux fois un gros matou car personne n'osait l'approcher !!! (bien qu'il soit tout à fait innofensif !). C'est une peur très répandue ici : le cours a été interrompu, la fille a crié et s'est levée de sa chaise ! Souvent, c'est d'ailleurs aux hommes de faire preuve de virilité, et de faire reculer les chats en les éloignant des filles !
D'autres fois, les chats sont repoussés sans ménagement, les gens les attrapent et les balancent violemment le plus loin possible !
Je pense que les gens en ont peur à cause d'un problème hygiénique, il y en a tellement, et tous sont loin d'être propres... J'imagine facilement les mamans répéter à leurs enfants : -Ne touche pas ce chat, ne touche pas ce chat !!! Moi même je craquais au début devant chaque petit chaton venu, et puis petit à petit je me suis mise à faire de plus en plus attention en les prenant !
A contrario, il y a moins de chiens errant, bien que l'on en trouve... Certains se groupent par bandes, mais c'est assez rare, la plupart sont de gros chiens, qui roulent leurs bosses en solitaires au détour des rues, et que l'on retrouve les soirs de froid blottis en d'énormes boules contres les portes des immeubles ou des vitrines...
Ce rapport aux chats m'intrigue, notamment via la véritable campagne de protection des animaux dont on a récemment été submergé : prendre soin des faibles, et prendre soin les uns des autres, qui est le créneau turque.
"Et quel fâcheux démon, durant les nuits entières,
Rassemble ici les chats de toutes les gouttières ?
J'ai beau sauter du lit, plein de trouble et d'effroi,
Je pense qu'avec eux tout l'enfer est chez moi :
L'un miaule en grondant comme un tigre en furie ;
L'autre roule sa voix comme un enfant qui crie.
Ce n'est pas tout encor : les souris et les rats
Semblent, pour m'éveiller, s'entendre avec les chats,
Plus importuns pour moi, durant la nuit obscure,
Que jamais, en plein jour, ne fut l'abbé de Pure.
Tout conspire à la fois à troubler mon repos,
Et je me plains ici du moindre de mes maux" (Chat, enfant et poisson, Istanbul Modern)
Boileau, L'embarras de Paris
(Panneau pour inciter à la solidarité envers les animaux dont l'île de Büyükada était placardée : traduc. approx "Eux aussi ont besoin d'un bol d'eau !")
Heureusement tout de même que tous ces chats sont là, car j'ai rencontré plusieurs fois des rats, notamment près des rails de tramway...
Mais, malgré tous ces chats mignons, c'est toujours à Momrath que je pense, le plus fou et le plus distingué de tous les chats : mon chat.
(Peinture d'Istanbul Modern, le musée d'art contemporain de la ville)